L’apprentissage de la langue est peut-être la première étape cruciale de la socialisation de l’enfant. L’enfant est assez rapidement capable d’utiliser le langage, comment cela se fait-il ? L’enfant doit pouvoir avoir un modèle, quelqu’un qui le stimule, c’est en général la mère (ou l’être maternant) qui joue ce rôle. C’est évidemment d’abord par des stimulations non-verbales que la relation s’établit, mais c’est sur ces mêmes stimulations que le langage viendra se greffer. Le langage est crucial en ce qu’il va permettre à l’enfant d’interagir plus efficacement avec son entourage, c’est aussi une étape capitale pour la construction de l’identité : le langage permet de s’affirmer.
Pour ce travail, allons plus particulièrement nous intéresser aux processus qui permettent l’acquisition du langage au travers de la relation qui s’établit entre mère et enfant. Dans un premier temps nous verrons comment l’enfant passe de la communication à la parole. En effet la communication ne peut être confondue avec la faculté de langage. L’expression de la pensée à travers le système structuré qu’est le langage est bien plus qu’un moyen privilégié de communiquer, même s’il est le système de communication spécifique de l’être humain. Les hommes ont conservé d’autres moyens de communication: les expressions de physionomie, les mimiques, les gestes des mains et du corps (regards, caresses…). Un univers plein de significations auquel le nourrisson est particulièrement sensible. L’enfant reçoit ici une « aide » fournie par l’adulte lorsqu’il entre en relation avec lui, ce qui produit un « système de support pour l’acquisition du langage » selon les termes de Bruner. La question est celle de savoir quelles sont les conditions initiales majeures pour le développement du langage?
L’apprentissage du langage est-il aidé, en plus de cet univers communicatif, par une faculté innée de l’être humain ? Noam Chomsky parle de « dispositif d’acquisition du langage ». Qu’est-ce qui prédispose l’enfant à se servir du langage et se trouver changé par ce dernier ? Sur l’ensemble de cette question nous verrons en particulier quelles sont les positions de Jérôme Bruner et celles de Bénédicte de Boysson-Bardies.
La relation mère-enfant est cruciale pour l’acquisition du langage. En effet, des interactions tout à fait particulières s'établissent entre une mère et son enfant. Ainsi le nouveau-né « connaît » la voix de sa mère. Des études ont montré qu’il préfère écouter celle-ci plutôt que la voix d'une autre femme. L’enfant réagit également à l'odeur maternelle, elle aussi repérée avant la naissance, en se tournant vers le vêtement imprégné de celle-ci. Très tôt l’enfant reconnaîtra le visage et certaines expressions de sa mère. Dès la naissance, le nouveau-né interagit avec le comportement de sa mère. Receveurs d'informations, les nouveau-nés en livrent aussi, permettant ainsi une adaptation réciproque des conduites de la mère et du nourrisson. Sur cette question de la relation mère-enfant, nous nous baserons principalement sur les travaux de Stern, Schaffer, Rondal et de Boysson-Bardies. Ceux-ci nous aiderons à voir ce que cette relation a de particulier, comment elle se déroule et comment ses acteurs la vivent.
Quand bébé vient au monde, il a déjà beaucoup entendu parler. Dans les derniers mois de la grossesse, il perçoit tout un ensemble de stimulations sonores, notamment la parole de sa mère. Il s'habitue ainsi à certaines caractéristiques de la parole, tels le rythme et l'intonation, qui forment ce que les linguistes nomment la prosodie. A peine né, l'enfant commence ses vocalises et se met en devoir d'établir le dialogue avec l'adulte par le regard, le geste, la voix.
A partir de 4 mois, il maîtrise de mieux en mieux ses vocalisations. Il en fait varier volontairement les intonations, la succession, les durées et la hauteur : sa voix est plus haute quand il est avec sa mère que quand il est avec son père. Peu à peu, il prend conscience que ses gazouillis lui permettent de communiquer ses émotions et ses demandes.
Vers 10-11 mois, il articule mieux et se livre à des enchaînements de syllabes variées. Parallèlement, il perd l'aptitude à discriminer certaines consonnes, absentes de sa langue maternelle. L'incapacité à distinguer le /r/ du /l/ chez les adultes japonais, par exemple, apparaît à ce moment là.
De la communication à la parole
La communication chez le bébé est première par rapport à la parole. Le bébé adopte plusieurs canaux de communication. Par des mimiques, des gestes, il arrive à se faire comprendre de son entourage. Bientôt, il s'exerce à prononcer des sons plus ou moins proches de mots du langage commun. En les associant sommairement, il réussit à expliciter ce qu'il souhaite obtenir de ses proches. Dans ces prémices de la parole, le corps tout entier est engagé. Car la parole fait partie du domaine du corps. Les expressions faciales vont exprimer tout le registre des émotions. Le déplacement dans l'espace est aussi en jeu. La distance sociale, c'est-à -dire, l'éloignement de celui qui émet son message par rapport à celui qui le reçoit est une convention sociale qui varie selon les civilisations.
Donc le bébé apprend d'abord à communiquer avant d'apprendre à parler. Les parents ont un rôle important dans cet apprentissage. Les enfants ont déjà un comportement de communication différent selon leurs origines sociales, leur appartenance ethnique. Car la communication renvoie au corps mais aussi à la représentation de l'autre, à la notion d'espace et de temps, qui sont les fondements de la culture. C'est en cela que l'on peut dire que communiquer ce n'est pas tant gérer de l'information mais des stratégies.
Parler, c'est agir. Quand les hommes parlent ils transmettent de l'information pour interagir. Ils font des actes. Parler, c'est prioritairement gérer des stratégies car les êtres humains utilisent le langage pour vivre ensemble. Pour le jeune enfant, savoir communiquer, c'est gérer des actes de langage, d'où l'intérêt de varier les situations de communications dès le plus jeune âge. Le jeu avec d'autres enfants ou celui régulé par les adultes est une porte d'entrée efficace dans l'acquisition du langage. Peu à peu, le jeune enfant va accéder à des codes de communication de plus en plus élaborés. Au fur et à mesure que l'enfant grandit, les parents doivent encourager l'enfant à délaisser le jargon de la toute petite enfance dont l'efficacité se limite au cercle étroit des relations familiales au profit de l'acquisition du langage commun à une culture qui lui permettra de se confronter à des situations plus variées et à des expériences nouvelles.
Le développement de la fonction référentielle
C’est le moment où l’enfant comprend que ce qui l’entoure peut être nommer, que chaque chose à un nom. Quand l’enfant développe des notions primitives de sémantique ( c’est à dire qu’il utilise toujours le même son pour la même chose), il se met à accompagner ces gestes référentiels de désignation (tendre le doigt) par des sons puis le son se substitue au geste. Ainsi, les conventions linguistiques sont habituellement des formes initialement primitives qui se sont normalisées en se socialisant au cours des échanges.
Evolution du langage
Avec le temps, l’enfant vocalise davantage et ses vocalisations deviennent plus faciles à interpréter. Quand le parent pense que l’enfant a désormais compris que les mots ont un sens, il devient plus exigent dans ses attentes de réponses, il traite les vocalisations comme si elles signifient quelque chose où, quand elles sont trop ambiguës, comme si elles devaient signifier quelque chose. Le parent incorpore les savoir-dire nouvellement acquis au vécu quotidien et on constate qu’ainsi l’enfant parvient à maîtriser ce qui lui est familier grâce aux occasions qu’il a de répéter et, par conséquent, de se perfectionner par des échanges routiniers dans un dialogue au schéma stable (ce que Bruner appelle les scénarii).
Durant cette période, le parent a une attitude globalement permanente et prévisible mais il élève le niveau de ses exigences dès que l’enfant montre des signes qu’il est capable de faire mieux. Le but de ce réglage est la pertinence fonctionnelle. Le parent est disposé à adapter ses réponses à son enfant dans beaucoup de cas pour parvenir à un double objectif. Tout d’abord, il veut faire comprendre qu’il y a une vocalisation type qui est exigée et cela permet à l’enfant de devenir un locuteur normal. C’est un objectif linguistique. Le second est culturel, il communique à l’enfant qu’il y a une manière normative d’instituer la référence.
L’enfant doit non seulement maîtriser des modes conventionnels acceptables pour signaler son intention mais il doit intégrer la référence à sa demande.